Indépendance professionnelle du médecin. Pilier de la déontologie médicale.

Historiquement

L'indépendance professionnelle était surtout liée à une exigence morale : assurer à la profession une indépendance professionnelle afin de donner la confiance aux malades pour consulter les médecins et se confier à eux pour avoir les meilleurs soins. Il s'agit pour les médecins de donner des soins consciencieux. Le crédit, la confiance que les malades accordent aux médecins sont d'un intérêt vital pour la société. C'est une question d'ordre public.

Les traités de médecine concernant cet aspect de l'exercice médical avaient au 19è et au 20ème siècle des titres tels que "morale médicale" ou "philosophie médicale".

C'était avant tout de morale qu'il était débattu. Et les morales dominantes étaient ainsi les supports de cette morale médicale.Les médecins qui écrivirent le plus sur le sujet étaient souvent instruits aux humanités religieuses et philosophiques.

Les problèmes étudiés étaient relativement bien délimités : le médecin devait faire preuve de compétence, de probité, d'honnêteté, de bienveillance, d'humanité pour être au service du seul malade selon les préceptes du serment d'Hippocrate.

La médecine au 19 è puis surtout au 20 è siècle s'appuie sur un savoir scientifique en expansion. La place des hôpitaux avec leur potentiel technique et de savoir approfondi, de plus en plus spécialisé, devient prépondérante dans le soin aux malades. Cette évolution sera marquée par une très grande réforme qui donnera à l'hôpital, à l'enseignement médical et à sa recherche un élan de renouveau incontestable par rapport à son état antérieur marqué de retards très dommageables : la réforme dite Debré de 1958 qui instaure les CHU avec leur triple fonction de soins, d'enseignement et de recherche et l'instauration pour les médecins hospitaliers et hospitalo-universitaires du temps plein.

Le caractère libéral de la profession s'amenuise tant à l'hôpital qu'en ville. Libéral signifiant profession exercée de façon indépendante, avec un paiement établi sur une entente libre entre le malade, dans des locaux privés gérés par le médecin, en dehors des droits du travail salarié en ce qui le concerne. Le médecin exerçant dans ce cadre percevant des honoraires.

En effet un acquis social des plus considérable, la Sécurité sociale en 1945 fonde de nouveaux rapports entre les malades et les médecins. Le statut juridique des uns et des autres changent de ce fait, mais aussi celui des institutions ou des lieux où ils exercent qui évoluent, surtout celui des hôpitaux publics. Aussi faut-il mieux parler de médecine de cabinet et de médecine hospitalière.

Le malade est un assuré social dont les frais médicaux sont remboursés selon certaines règles. Les médecins de cabinet perçoivent des "honoraires" dont le paiement est en partie assuré par la Sécurité sociale. Les médecins hospitaliers perçoivent des "émoluments" qui sont eux aussi payés par des fonds issus pour l'essentiel de la Sécurité sociale. Les médecins hospitalo-universitaires PU PH et MCU-PH perçoivent un traitement en tant que fonctionnaires d'État comme enseignants et des émoluments en tant que médecins hospitaliers.

Ainsi une situation nouvelle a émergé grâce à l'Assurance maladie : le malade est soigné selon les besoins de son état et non selon ses moyens. Tel est le fondement des droits ouverts par la Sécurité sociale.

Il y a là une révolution.

La morale médicale fait place au code de déontologie dont la première édition date de 1941 suivie par celles de juin 1947, de novembre 1955, de juin 1979, de septembre 1995 et du 8 mai 2012.

Ainsi est-on passé d'un régime réglé par des usages, des conventions sociales, avec absence de droits à un régime réglé par des droits : droits des malades, statuts de la profession médicale, statuts des médecins hospitaliers et devant obéir aux obligations inscrites dans le code de déontologie issu d'un décret pris après avis en conseil d'État, inclus dans le code de la Santé publique. Il faut souligner ici que les droits des malades ont désormais deux sources : les droits ouverts par la Sécurité sociale et les droits consacrés par le code de déontologie médicale sous les titres des devoirs généraux des médecins et des devoirs envers les patients.

L'INDEPENDANCE PROFESSIONNELLE

L'article 5 du code de déontologie est très clair :

"Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit''

Cette indépendance professionnelle doit ainsi exister dans les domaines suivants :

- la prescription

- le temps à consacrer aux malades, aux consultations, aux visites,

- le choix des examens complémentaires

En effet ces derniers éléments conditionnent la qualité de l'acte médical.

Il nous est fait obligation par le code de déontologie d'exercer de façon consciencieuse et selon les données acquises de la science. Nous avons une obligation de moyens et non de résultats.

Cette dernière obligation est particulièrement mise à mal par les restrictions de moyens mis à disposition des médecins. Par la mise en place de l'ONDAM et des ORDAM. Par les limitations d'utilisation de certains médicaments parmi les plus coûteux, par exemple dans les traitements chimiques ou immunologiques des cancers. Par la limitation de certains examens complémentaires par exemple certains tests permettant de dépister des anomalies de la coagulation lors des consultations pré-opératoires anesthésiques... Tous les médecins de toutes les spécialités médicales biologiques et chirurgicales peuvent en donner des exemples.

Une obligation déontologique doit être constamment rappelée : le médecin doit exiger les moyens pour établir son diagnostic. Cette règle est constante. Elle s'applique aux circonstances les plus courantes, et à celles qui relèvent des cas rares, difficiles à diagnostiquer alorsque le diagnostic effectué leur traitement peut être aisé. Ce problème est très bien illustré dans le film " Hippocrate" de Thomas Lilti, où le jeune interne débutant faute de disposer d'un électrocardiographe en état de marche, ne peut faire le diagnostic d'infarctus du myocarde d'un patient alcoolique chronique, en état de misère physiologique qui se présente aux Urgences de son hôpital. Le médecin plus chevronné à diplôme étranger, faisant fonction d'interne qui lui sert d'enseignant est alors rendu responsable du décès de ce malade. Ceux qui ont vu ce film connaissent la suite.

Mais il existe aussi des limitations dans les traitements des maladies mentales, ainsi dernièrement il y eu une tentative d'interdire l'utilisation des méthodes issues de la psychanalyse pour traiter les malades autistes.

La limitation des moyens affecte les possibilités de prescription tant pour la médecine de cabinet que hospitalière du fait du manque de médecins avec cet immense problème des "déserts médicaux", qui existent partout, sur tout le territoire national et dans tous les secteurs, médecine de cabinet et médecine hospitalière.

Ce manque de médecins modifie aussi les relations entre médecins. Entre les médecins de cabinet et les hospitaliers, mais aussi entre les médecins hospitaliers eux-mêmes. Le temps que ceux-ci peuvent consacrer aux échanges sur les dossiers de malades, aux échanges scientifiques en vue de travaux et de l'enseignement est de ce fait réduit.

Surtout les règles du jeu, de l'exercice médical ont été modifiées par les récentes lois telles HPST, ou la loi santé de Marisol Touraine. La responsabilité du médecin est fondamentalement une responsabilité personnelle : le médecin est responsable des ses prescriptions et de ses actes opératoires et de la conduite du traitement, de son suivi. Les lois nouvelles par la destruction des services, la mise en place des pôles, actuellement des départements médicaux-universitaires enlèvent aux médecins cette responsabilité personnelle et les mettent dans un dispositif où la pensée, la réflexion médicale sont sous l'emprise d' autorités, de mécanismes dont les sommets ne sont pas médicaux mais étatiques.

Nous en arrivons à un problème d'ampleur: la raison d'État contre l'acte médical, contre la pensée médicale, contre la connaissance scientifique.

Je prendrai deux exemples :

La suppression de l'hypertension artérielle sévère de la liste des ALD (Affection de longue durée). Le 9 juillet 2011, le Professeur Joël Ménard , Professeur émérite de santé publique à la faculté de médecine de Paris-Descartes qui a consacré sa vie de médecin et de chercheur pour soigner le malades atteints d'hypertension artérielle protestait avec véhémence dans un article intitulé "Morts par décret ! En effet un décret du 24 juin 2011 supprimait l'hypertension artérielle sévère de la liste de affections de longue durée à la raison suivante qu'elle était : " la seule ALD à constituer un facteur de risque et non une pathologie avérée". Le Professeur Joël Ménard dans une déclaration publique disait alors : « L'hypertension sévère, très difficile à définir certes, mais cernée consciencieusement par des consensus successifs d'experts au sein de multiples organisations nationales et internationales ne serait pas une pathologie avérée !! Il fallait oser.

L'autisme.

En décembre 2013 le député Daniel Fasquelle proposait une Résolution parlementaire invitant le Gouvernement à interdire les méthodes thérapeutiques dérivées de la psychanalyse dans le traitements des malades autistes. Il se fondait sur une recommandation de la Haute Autorité de santé qui commençait et se terminait ainsi :

Considérant que le Comité des droits de l'enfant de l'ONU désigne les « thérapies psychanalytique comme « inefficaces »,...

Invite le Gouvernement français à faire systématiquement engager la responsabilité pénale des professionnels de santé qui s'opposent aux avancées scientifiques et commettent des erreurs médicales en matière d'autisme conformément à l'article L. 1142-1 du code de santé publique ;

Invite le Gouvernement français à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l'autisme car n'étant pas recommandées par la HAS.

Grâce à une pétition initiée par notre conseur le Dr Christine Gintz de Grenoble pour le rejet de la proposition liberticide du député Daniel Fasquelle cette proposition de Résolution parlementaire signée par 94 députés, après un débat très disputé à l'Assemblée nationale le 11 décembre 2016, n'a été voté que par deux députés dont...M. Daniel Fasquelle. En effet plusieurs députés, médecins de divers partis, s'y opposèrent en s'appuyant sur l'article 5 du code de déontologie, l'indépendance professionnelle. Et cette proposition fut largement rejetée.

C'est ainsi que l'État veut diriger la science médicale et dire la science. On en revient au temps où Galilée par la force de l'inquisition fut obligé d'abjurer sa démonstration que la terre tournait autour du soleil....ne pouvant dire finalement que cette terrible phrase " Et pourtant elle- la terre- tourne".(e pur si muove)

Il existe un autre problème, dramatique, celui des burn-out et des suicides de médecins, d'internes. Il est bel et et bien lié à une atteinte à l'indépendance professionnelle. L'analyse des cas les plus connus montre un mécanisme qui se répète souvent : un confrère a développé une orientation nouvelle souvent originale dans son service, et lors de regroupement de services le nouveau chef de pôle ou de département balaie cette activité, afin de répondre aux objectifs fixés par les directions hospitalières. On connaît la suite, le cas du Pr Jean-Claude Meignen en est l'illustration.

En résumé il faut bien retenir que l'indépendance professionnelle est bien le pilier de la déontologie médicale. Cette indépendance concerne tous les médecins, de cabinet et des hôpitaux. Les textes de loi existent : c'est l'article 5 du code de déontologie. C'est pour les médecins des hôpitaux leur statut encore existant, qui n'en fait ni des fonctionnaires d'Etat, ni des fonctionnaires de la fonction hospitalière, mais des personnels des hôpitaux publics régis par un statut propre qui leur garantit encore cette indépendance professionnelle. Ils ne sont pas sous l'autorité hiérarchique des directeurs d'hôpitaux.

En conclusion : l'indépendance professionnelle doit être préservée pour l'intérêt des malades et la dignité des médecins, de la profession toute entière, pour la défense de l'acte médical et de la science médicale. C'est un combat qu'il faut mener. Des exemples récents et d'actualité montrent que cela est possible. Car c'est un acquis de société fondé sur un long combat de civilisation dont l'origine est bien dans le Serment d'Hippocrate.

Dr François PARAIRE

Médecin honoraire des hôpitaux de Paris AP-HP

*Cet article était libellé exactement sous la même forme (Art. 10 dans la version de 1979, Art. 9 dans la version de 1955).