La plainte ordinale, de son annonce à ses conséquences par les DOCTEURS SOPHIE PERRIN et JEAN-LOUIS VANGI

La plainte ordinale, de son annonce à ses conséquences ( Dr Sophie PERRIN)
Recueil et analyse du ressenti, de l’impact personnel et professionnel de la procédure auprès de 55
médecins concernés par une plainte ordinale en 2018. Départements de l’Isère et de la Savoie

Introduction
Il existe peu de travaux sur le vécu et les conséquences pour le médecin d’une plainte devant l’Ordre
des Médecins. Suite à des expériences vécues au sein de nos Ordres avec ce même constat de
souffrance ignorée, il nous a semblé pertinent dans le cadre du DIU « soigner les soignants »
d’analyser le ressenti de chaque médecin impliqué dans une plainte ordinale et les retombées de cet
évènement dans le parcours de vie personnel et professionnel.
Méthode
Cette étude rétrospective a été menée par entretien téléphonique. Les Ordres de l’Isère et de la
Savoie ont préalablement envoyé un courrier explicatif du déroulé de l’enquête. Ce travail s’est fait
sous leur responsabilité. L’entretien s’est déroulé par téléphone avec une grille de recueil structurée
autour de cinq temps : la procédure d’annonce de la plainte, le ressenti, les conséquences physiques,
psychiques, les mécanismes de défense mis en place, les propositions d’améliorations suite à ce
vécu.
Résultats et discussion
75% des médecins ont répondu à l’enquête.
La moyenne des âges des médecins interrogés est de 52 ans (de 29 ans à 68 ans). La majorité a un
exercice libéral en médecine générale et est de sexe masculin. Pour 71% d’entre eux, il s’agit d’une
première plainte ordinale et le plus souvent avec un patient comme plaignant. Mais le nombre de
plaintes entre confrères n’est pas négligeable (22%).
Le premier résultat remarquable est qu’uniquement 38% des médecins interrogés connait le
déroulement d’une procédure ordinale. Les plus jeunes d’entre eux la méconnaissent.
En ce qui concerne l’annonce de la plainte par courrier recommandé, elle est ressentie comme trop
« formelle » et « violente ». La majorité des médecins aurait souhaité être contactée avant la
conciliation et/ou recevoir un courrier explicatif avec un numéro à appeler si besoin.
17 médecins (42%) ont contacté l’Ordre des médecins (conseiller ou secrétaire) avant la conciliation,
ce qui a eu un effet de ré assurance évident.
40% des médecins en Isère et 86 % des médecins en Savoie ont pris contact avec l’Ordre des
médecins avant la conciliation.
Mais 65% des médecins Isérois auraient souhaité être appelés ou avoir un courrier explicatif et / ou
un numéro de téléphone à rappeler.
Seule une minorité de médecins a été accompagnée d’un avocat lors des conciliations (30% en
moyenne pour les 2 départements)
La plainte a été transmise à la CDPI dans 72% des cas en Isère (faible taux de conciliation) et dans
53% des cas en Savoie.
Les ressentis majoritaires sont : le stress, la colère, la surprise, la culpabilité ceci dès la réception du
courrier ordinal qui marque une date dans la vie du médecin. Ces ressentis sont majorés ou minorés

selon le motif de la plainte, l’âge et l’expérience du médecin. Mais la mise en cause est réellement
vécue comme un traumatisme. Par contre toutes et tous ont reçu une écoute bienveillante de leurs
proches et de leur corporation, hormis les chirurgiens qui relatent un manque évident de
confraternité.
Les conséquences émotionnelles de la plainte ont duré dans le temps avec de l’anxiété et des
troubles du sommeil nécessitant parfois un recours thérapeutique.
Trois confrères ont eu ou ont encore des idées suicidaires envahissantes. L’un des deux a déclaré
avoir fait une dépression sévère dont il garde encore des séquelles. Deux médecins ont été en arrêt
de travail. Un médecin a été hospitalisé en clinique psychiatrique suite à la plainte déposée. Deux
médecins ont décidé de prendre leur retraite à la suite de ces mises en cause et un des médecins a
démissionné.
Plusieurs ont eu recours à un traitement anxiolytique et/ou antidépresseur.
Environ la moitié des médecins ont déclaré avoir un médecin traitant mais peu l’ont consulté. (1/3
environ). Aucun médecin n’a consulté son médecin du travail, s’il en avait un.
Quant aux réseaux d’aide aux soignants, les 3/4 des médecins en connaissent l’existence mais
aucun n’y a eu recours sans explication valable.
63% des médecins interrogés ont mis en place des mécanismes de défense positifs et/ou négatifs.
Evidemment on imagine que plus le motif de la plainte était grave, plus le médecin impliqué a mis en
place ces mécanismes mais le simple fait d’être mis en cause a généré le processus.
On a distingué les mécanismes de défense dits « positifs » qui ont comme vertu d’améliorer sa
pratique et les mécanismes de défense dits « négatifs » eux ont eu comme finalité de prendre plus
de précautions dans l'exercice médical afin d’éviter une nouvelle plainte: trier la clientèle, éviter le
patient estimé à risque, demander plus d'examens complémentaires, solliciter les services
d’urgences.
La dernière question du recueil était une question ouverte où le médecin interrogé nous a livré ses
réflexions issues du vécu de la plainte et/ou conciliation.
Le soutien de l’Ordre des Médecins a été optimal mais l’Ordre (et ses élus) a été épinglé sur la
méconnaissance ressentie du langage juridique, une communication parfois insuffisante, un manque
de diffusion des procédures ordinales.
« Tant que l’on n’est pas concerné, on ne va pas chercher l’information »
La procédure d’annonce de plainte a été jugée trop violente et 85% des médecins pensent qu’un
contact (et/ou un courrier explicatif) pour prévenir d’une plainte à venir aurait pu apaiser leur
inquiétude et toutes ses conséquences. Une préparation à la conciliation a été proposée sous forme
d’ateliers (“coaching”). Ont été évoqués aussi la lourdeur des procédures, la perte de temps générée
par une plainte au motif mineur, ou lorsque le plaignant ne se déplace pas avec la proposition que
l’Ordre sanctionne (plainte abusive) et « tape du poing sur la table ».
La mutation du métier de médecin a fait l’objet de réflexions des médecins interrogés
Mieux se parler entre confrères
Remettre de la confraternité dans nos rapports « Derrière toute plainte, il y a un confrère »
Mieux gérer son temps

Alléger les procédures administratives
Enfin le soin aux soignants est une notion qui émerge de l’étude : proposer une formation de «
médecin des médecins », « mettre en place une structure de soutien du médecin condamné », «
proposer un suivi psychologique ou un espace de parole », « apprendre aux jeunes collègues à
prendre soin d’eux »
Puisque notre étude a démontré un impact négatif de la procédure d’annonce actuelle d’une plainte
ordinale sur le médecin avec SOUFFRANCE et CONSÉQUENCES, voici les propositions d’évolution à
l’échelon du Conseil Départemental:
Modifier la procédure d’annonce dans les limites posées par la Loi: appel, courrier, numéro à
joindre
Imaginer une commission d’étude de dossiers, afin de déterminer quel médecin joindre en
amont de la conciliation?
Se rencontrer avant la conciliation?
L’interrogation du Conseil National de l’Ordre des Médecins et notamment du Dr Anne-Marie
TRARIEUX, Présidente de la Section Ethique et Déontologie nous a confortés dans le bien fondé et la
nécessité du travail que nous avons accompli.
S’inscrire dans une procédure de mise en cause des médecins et rester engagé à leurs côtés semblent
être des positions inconciliables et « des écueils incontournables ». La Section Ethique et Déontologie
propose une réflexion plus élargie et un examen transversal de la question.

Au niveau Régional qui est le niveau dédié à la Première Instance du Disciplinaire et à l’Entraide,
nous avons proposé d’associer l’Entraide Régionale à la prévention de la souffrance liée à la plainte.
L’Entraide s’organise en Rhône Alpes à travers l’ASRA (connu dans 72% cas)
Aucun d’entre eux n’a pris contact avec l’association
Voici les propositions imaginées :
 Mieux communiquer
 Rappeler les missions des associations d’Entraide
Il nous semble alors pertinent de rappeler dans le courrier envoyé aux médecins qu’ils
peuvent obtenir le soutien des associations d’Entraide.
 Constituer au sein de ces associations un réseau de confrères dédiés à cette mission de
prévention de la souffrance et explication des procédures aux médecins
 Dès les premiers entretiens, nous avons reçu « de plein fouet » la souffrance de nos
confrères.
La solution la plus évidente semblait « à portée de téléphone » puisqu’un simple appel aurait
alors soulagé nos confrères et les aurait sorti de l’inconnu dans lequel il naviguait…
 Contacter les confrères mis en cause devant la CDPI dès réception de la plainte pour leur
expliquer le fonctionnement de cette juridiction et les délais attendus
 Mettre en place d’un questionnaire d’évaluation de la souffrance ressentie et engendrée par
la plainte / la procédure permettant d’enrichir le bilan des CDPI de cette valeur humaine
chère à notre Institution participant ainsi à la bientraitance de nos confrères

Au niveau National, le CNOM peut prendre sa place en interrogeant les différents conseils
départementaux afin de connaître les méthodologies et les procédures mises en place face à la
souffrance ressentie par les médecins mis en cause. Voici les propositions imaginées :
 Enrichir les procédures des départements à travers l’expérience des autres conseils
départementaux
 Diffuser les coordonnées des réseaux d’aide aux soignants en rappelant leur mission
 Enrichir le site Internet du CNOM : à l’heure du tout numérique, à aucun moment le médecin
ne peut trouver l’information concernant la procédure disciplinaire
 S’impliquer dans la Formation Universitaire : formation à la déontologie / rédaction des
certificats médicaux, les plus pourvoyeurs de plaintes. Expliquer les procédures et le
cheminement d’une plainte
Conclusion
Au travers de cette enquête nous avons mis en évidence une grande liberté des médecins à échanger
de la souffrance d’être jugé dans son exercice. La méconnaissance de la procédure ordinale est
surprenante.
Les réseaux d’aide aux soignants ne sont pas sollicités malgré la douleur morale exprimée et la
connaissance de ces structures d’aide.
Les propositions d’améliorations concernent majoritairement la place de l’Ordre des médecins dans
la formation à la judiciarisation de la profession : parmi les propositions on retrouve la mise en place
d’ateliers d’échanges de pratiques et des mises en situation, une amélioration de la possession du
langage juridique par les conseillers ordinaux, la nécessité d’une expertise ordinale professionnalisée.
Mais émerge également la notion de non confraternité : « derrière toute plainte il y a un confrère »
En revanche, de façon quasi unanime, le soutien reçu de l’Ordre des médecins dans l’épreuve est
reconnu par les médecins.
Enfin les résultats objectivent un besoin de modifier la procédure d’annonce d’une plainte sans
rendre la procédure non recevable et l’échange avec un conseiller est souhaité avant la rencontre.
L’étape d’interrogation du Conseil National de l’Ordre des Médecins semble être la suite logique de
ce travail pour intégrer un nouveau maillon d’entraide en amont de la conciliation afin de prévenir la
souffrance et l’effet seconde victime mis en évidence dans cette étude.
Notre Institution doit communiquer : communiquer plus et communiquer mieux sur ces missions qui
sont les nôtres pour soustraire nos confrères mis en cause à « cette peur de l’inconnu » et leur
donner la possibilité d’un contact pour échanger
Il faut réfléchir transversalement à l’échelon National de notre Institution à s’inscrire dans une
procédure de mise en cause des médecins tout en maintenant notre engagement auprès des
médecins : Respecter à la fois une neutralité totale et une bienveillance confraternelle.
Nous sommes là face à un dilemme mais il n’est pourtant plus acceptable aujourd’hui de structurer
des associations d’Entraide et d’être dans l’impossibilité d’aider nos confrères mis en difficulté
devant notre Juridiction.
Concilier l’inconciliable ! Tel est le pari que nous faisons et que devra tenter de réussir l’Ordre
National. « Et un médecin qui va bien est un bon médecin « (Patrick BOUET. Octobre 2019)

Ce mémoire a fait l'objet d'un article dans le Quotidien du Médecin

Docteur Sophie Perrin, Trésorière du CDOM38

Docteur Jean-Louis Vangi, Président du CDOM73